Une seule et unique fois, écrit Freud, autant que je sache, précise-t-il de surcroît, Léonard a inséré dans un de ses écrits scientifiques une indication sur son enfance. À un endroit qui traite du vol du vautour, il s'interrompt soudain pour suivre un souvenir qui surgit en lui du fond de ses toutes premières années :

“Il semble qu'il m'était déjà assigné auparavant de m'intéresser aussi fondamentalement au vautour, car il me vient à l'esprit comme tout premier souvenir qu'étant encore au berceau, un vautour est descendu jusqu'à moi, m'a ouvert la bouche de sa queue et, à plusieurs reprises, a heurté mes lèvres de cette même queue.” "

C'est à partir de ce texte que Freud bâtit en 1910 une explication de la sexualité de Léonard, et de son rapport aux femmes (vautour associé à la mère). Mais une partie du raisonnement est fondée sur une erreur de traduction (milan et vautour). Bien que l'erreur soit connue dès 1923, les spécialistes se sont querellés pour avoir raison quand même!
Meyer Schapiro " Leonardo and Freud " Chicago 1956
docteur Eissler "Léonard de vinci, étude psychanalytique" New York 1961.

Léonard de Vinci peint en 1510 ce tableau (à gauche) intitulé La Vierge, l'enfant Jésus et sainte Anne ; tableau qui se trouve au musée du Louvre, à Paris.

Et le vautour ?

Or, en 1919, Freud rajoute une très longue note (p. 211, 213 et 215 de l'édition bilingue) avec en prime un beau dessin, reprenant le tableau du Louvre de Sainte Anne en tierce (l'agneau en prime). Cette note, c'est Oskar Pfister qui lui la suggère, lequel Pfister aurait fait une « singulière découverte » : « Il a décelé dans le drapé, bizarrement arrangé et malaisé à comprendre, de Marie, le contour du vautour et l'interprète comme image-devinette inconsciente (voir fig. 2). » (p. 213).

Pour bien "voir" le vautour, vous penchez la tête à gauche : à l'extrême gauche, quasiment sur les fesses de Marie, la tête du vautour apparaît. A droite, on imagine la queue du vautour entre le menton de Marie et la bouche de l'enfant Jésus. Et c'est là qu'il faut se souvenir du rêve raconté par Léonard :"un vautour est descendu jusqu'à moi, m'a ouvert la bouche de sa queue et, à plusieurs reprises, a heurté mes lèvres de cette même queue.” "

Pfister poursuit (p213) :" La question importante est alors celle-ci jusqu'où s'étend l'image-devinette ? Si nous suivons le drap, qui se détache si nettement de ce qui l'entoure, en partant du milieu de l'aile, nous remarquons que d'une part il s'incline vers le pied de la femme, mais d'autre part s'élève vers son épaule et vers l'enfant. La première partie donnerait à peu près l'aile et l'extrémité naturelle du vautour, la dernière un ventre pointu et, particulièrement lorsque nous observons les lignes en rayons, semblables à des contours de plumes, une queue d'oiseau éployée dont l'extrémité droite, précisément comme dans le rêve d'enfance de Léonard, significatif de son destin, conduit à la bouche de l'enfant, donc justement à celle de Léonard.".

Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci Sigmund Freud, Gallimard-Folio, 1991 pour l'édition bilingue .