L'artiste
allemand Bernd Becher est décédé le 22 juin à
Rostock en Allemagne, des suites d'une opération.
On
disait toujours "les Becher" tant le couple formé par
Bernd et Hilla Becher était devenu un label, un concept, qui a
marqué durablement l'histoire de l'art et la photographie. Leur
vie durant, ces Allemands ont photographié les sites industriels
de façon systématique, dans des séries froides et
précises à la rigueur scientifique, en noir et blanc. Mais
c'en est fini du duo : Bernd Becher, 75 ans, est mort à Rostock,
en Allemagne, le 22 juin, des suites d'une opération.
C'est à la fin des années 1950 que Bernd Becher, alors âgé
de 20 ans, commence à collecter les images des sites industriels
de sa région minière natale, puis à les photographier.
L'entreprise se systématise lorsque Bernd, formé à
la peinture et à la lithographie, s'allie à la photographe
Hilla Wobeser, qu'il épouse en 1961.
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Obéissant à un protocole immuable, les époux se mettent
à documenter de façon objective et frontale les constructions
fonctionnelles des sites industriels : silos, puits de mine, hauts-fourneaux,
gazomètres, châteaux d'eau... Le concept est fixé
et ne bougera pas : les photos sont petites, en noir et blanc, prises
à la chambre pour révéler un maximum de détails
et sans aucune fioriture : un ciel toujours blanc, aucun humain dans le
cadre. Juste la vérité de la chose. Ils explorent ainsi
des milliers de sites industriels, en Allemagne et aux Etats-Unis, pour
en tirer des séries qu'ils publieront dans une vingtaine de livres
et exposeront à travers le monde entier. "La série
typologique implique que l'on puisse mettre ensemble des images plus ou
moins fortes, déclarait Bernd Becher dans Le Monde en 2001.
Ensemble, elles traduisent le phénomène industriel. Une image peut
fonctionner individuellement, mais l'industrie appelle le groupe."
Par leur démarche, les époux Becher s'inscrivent dans la
tradition des grands photographes documentaires allemands tels Renger-Patzsch
et ses usines, August Sander et ses portraits... mais, à l'heure
de l'abstraction lyrique et du photoreportage, cette préoccupation
réaliste et documentaire ne rencontre d'abord qu'indifférence.
Il faudra attendre les années 1970 pour que des artistes conceptuels
minimalistes américains comme Carl Andre et Sol LeWitt popularisent
leur travail, qu'ils voient comme un répertoire de formes pures,
sorties de leur contexte. Une lecture qu'autorise cette oeuvre en forme
de catalogue accompagnée de légendes a minima. C'est le
début d'un immense succès, qui culmine en 1990, lorsque
les Becher sont couronnés à la Biennale de Venise, avec
le prix de... sculpture.
Avec le temps, et la disparition progressive des sites qu'ils ont immortalisés,
leur travail a également été reconnu pour sa valeur
patrimoniale, comme un témoignage sur la société
industrielle passée. Les époux, eux, ont toujours laissé
la porte ouverte à toutes les lectures : artistique, patrimoniale,
photographique. "La question de l'art implique un déplacement
de sens, disait Bernd. Le haut-fourneau que nous photographions a un usage
précis, et l'image apporte beaucoup d'informations (...). Mais
on peut aussi voir ce haut-fourneau en tant qu'image."
L'oeuvre des Becher a largement contribué au renouveau de la photographie
documentaire. A leur suite, toute une génération de photographes
dits réalistes, mais cette fois en couleur et en grand format,
a revendiqué des oeuvres fondées sur l'objectivité
et le travail en séries.
Mais sans doute cette influence est-elle aussi liée à l'activité
des Becher à l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf.
En 1958, le couple y a fondé un studio photo, où sont passés
d'importants artistes : Gerhard Richter, Bernhard Blume, Sigmar Polke,
Johannes Brus... avant que Bernd Becher n'y enseigne, de 1976 à
1996. On parle d'"école allemande" pour qualifier les
élèves célèbres qui ont suivi ses cours et
s'inscrivent dans une démarche un peu similaire, tels Thomas Ruff,
Thomas Struth, Andreas Gursky ou Candida Höfer. La cote et la renommée
des disciples ayant dépassé parfois celles des maîtres.
Claire GUILLOT.
Bernd Becher
LE MONDE | 04.07.07
photo
: SIPA/BARBARA SAX/EPA/SIPA
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